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Actualités littéraires et culturelles

https://www.lemarathondesmots.com/

Toulouse du 25 au 30 juin 2024

 

Publié par Ecriberté

Ecrit par Ali al-Muqri

Titre original : Bilâd al-Qâ'id:

traduit de l'arabe (Yemen) par Ola Mehanna et Khaled Osman

Edition Lian levi 2020 pour la traduction française

L’écrivain égyptien Ali perd tout espoir de gagner l’argent nécessaire pour sauver sa femme atteinte d'un  cancer. Il n’a pas obtenu le prix littéraire « Shéhérazade du roman arabe » qui l’aurait sorti de l’impasse financière où il se trouve.

Pour gagner l’argent dont il a besoin, il fait un pacte faustien. Il vend son "âme au diable"en acceptant d’écrire la biographie officielle du Commandeur qui règne sur l’Irassybie. Ce pays est une sorte de nébuleuse obscure qui concentre tout ce que les états totalitaires imposent comme violences et atteintes aux droits humains et à la liberté. Le peuple doit être au service du Commandeur et doit répondre à ses besoins et ses fantasmes. 

Ali va découvrir ce pays étrange et glaçant où tous les rouages d'un état totalitaire sont en place. Il y a d'abord le culte du secret et la loi du silence qui sont les clés de voute de tous ces gouvernements qui cachent ainsi la triste réalité de leur pays, derrière des rideaux de mensonges. La présence d'Ali est donc secrète. Elle ne doit pas être révélée ce qui lui empêche toute liberté de s'exprimer et d'agir selon son bon vouloir.                                                                                                                        "L'idée étant que personne ne devait savoir que j'avais rédigé cette biographie, ni même contribué à son écriture. Une telle information provoquerait inévitablement la suspicion des milieux culturels, déjà alertés par l'abondance de livres signés de la main du Commandeur : ils allaient immédiatement penser qu'il avait des nègres employés à les écrire pour lui, et assurément mon nom figurerait sur la liste des suspects." [extrait p.38-39

Comme dans tous les pays totalitaires, La peur est omniprésente. Ali est dans la crainte permanente de déplaire au Commandeur. Sa garde rapprochée est tout aussi dangereuse, car elle guette toute incartade au protocole et use de la délation pour se faire remarquer du Commandeur.                                                                                        (…)Ici tout le monde avait peur : de la censure, des filatures, des gens, des maisons, des murs dont on pensait qu'ils avaient des oreilles. Les gens se méfiaient de leur propre ombre et aussi de moi. Avaient-ils réellement peur de moi ? oui sans aucun doute ils me redoutaient Tout comme ils avaient peur d'eux-mêmes du reste, craignant de prononcer involontairement tel ou tel mot, de laisser échapper tel ou tel aveu, de formuler telle ou telle critique qui porterait atteinte à son Excellence le Commandeur (…)[extrait p.66]

Ali occupe son temps à réfléchir à cette biographie factice et participe aux réunions de la commission d'écriture de la biographie,  mais aussi à celle du bureau d'orientation de la pensée et du bureau d'orientation idéologique. Il doit s'habituer à ce monde absurde et grotesque qui l'entoure. Comme dans tous les pays sous dictature, on pratique en Irassybie une sorte de "novlangue" décrite par Orwell. Ali apprend à utiliser un vocabulaire adapté qui ne doit pas choquer la susceptibilité du Commandeur et de son entourage. Par exemple, on ne parle pas de collaborateurs du Commandeur. Le mot collaborateur n'existe pas. Ils sont tous des  "quémandeurs".  La mégalomanie des dictateurs n'a pas de limite, celle du Commandeur aussi ! "C'est le leader de nations et non le leader d'une nation, il est leader des nations qui s'uniront un jour, grâce à son inspiration, pour n'en former qu'une seule dont il sera le chef."[Extrait p.42].

La soumission totale et la manipulation des consciences sont incontestables. "Vous seul, O notre Commandeur, êtes capable de guider ce soleil où vous voulez pour en faire profiter qui vous le souhaitez, ou bien de dépêcher les nuages au-dessus de tel ou tel territoire afin qu'il pleuve, ou encore d'envoyer vos bienfaits où vous le décidez !"[Extrait p.54]                     

Ali va être étonné d'apprendre que c'est Chaimaa, la fille du Commandeur, qui a demandé à son père de le choisir pour écrire sa biographie et plus consternant encore, elle va lui proposer le mariage ! Tel père tel fille ! Chaimaa est tout aussi machiavélique que son père et se comporte comme lui. La notion de respect des droits de l'homme n'existe ni pour le père, ni pour la fille. Il est évident que les caprices de ces deux-là sont dangereux et les êtres humains ne sont que des jouets entre leurs mains.  Il apprend de la bouche de Chaimaa que son père a fait exécuter ses anciens amants qui ne se sont pas comportés correctement. "D'un autre coté, ses propos m'inquiétaient, car ils pouvaient être pris pour une menace quant à la punition qui m'attendaient si jamais je rejetais sa proposition de mariage" [Extrait p. 36]

Abou'l-Yomm qui est pour Ali un des membres le plus sympathique de la Commission d'écriture de la biographie lui explique toute la perversité des loisirs du Commandeur. Entre autre, le Commandeur  joue aux échecs sur un échiquier géant dont les pièces sont des êtres humains qui représentent les rois et reines et dirigeants du monde. Il prend plaisir à les éliminer à balle réelle avec son révolver en or. "Cependant, les dirigeants mondiaux à liquider étant plus nombreux que les figurines de rois sur l'échiquier, il avait dû compléter en tirant sur les personnes réelles qui se trouvaient à proximité." [Extrait p.46] 

Ce climat anxiogène va agir progressivement sur le système nerveux d'Ali. "Ces derniers temps, j'étais devenu incapable de me libérer de mes angoisses nocturnes"(...) [Extrait p.66]

Au cours d'une promenade pour le libérer de l'ambiance oppressante de la résidence du Commandeur, Ali observe un pays sous contrôle. Comme dans tous les états totalitaires, l'effigie du Commandeur est omniprésente dans l'espace public.  Soldats et check-points assurent la surveillance du peuple. L'ambiance est tout aussi malsaine à l'intérieur du palais qu'à l'extérieur.   

Ali va apprendre peu à peu tous les sévices que le Commandeur fait subir à son entourage. les témoignages sont tragiques. Ce sont des atteintes permanentes à la dignité humaine.  

Les dictatures reposent essentiellement sur la tyrannie qu'elles exercent sur le peuple. Les dictateurs se croient invincibles, mais ils sont fragiles. Il suffit qu'une brèche s'ouvre et le pays se rebelle et tout explose. Toute la violence et les injustices subies par le peuple se retournent contre son dictateur et c'est le massacre assuré. 

Le Commandeur de l’Irassybie qui se croyait insubmersible ne va pas échapper à la fin tragique que connaissent beaucoup de dictateurs de ce monde….

Ali Al-Muqri analyse avec justesse les lieux de pouvoir et surtout les abus de pouvoir qui s'y exercent. Le pays du Commandeur décrit avec précision un état totalitaire,  toute sa puissance et violence destructrices, mais aussi en parallèle, les "petits pouvoirs" tout aussi dangereux qui gangrènent et sclérosent une société. En prenant l'exemple de certains milieux littéraires qui usent et abusent de leur notoriété pour encenser ou démolir un écrivain non pas en raison de la qualité de son roman mais pour d'autres raisons bien plus obscures, Ali Al Muqri démontre ainsi que  toutes les dictatures, petites ou grandes, ont comme ultime conséquence, la régression de l'humanité. 

C'est le 3ème roman que je lis d'Ali Al-Muqri. J'apprécie à chaque fois sa plume caustique qui essaime un humour mordant. Cela permet de mettre en relief toute l'absurdité et la folie qui caractérisent ces dictatures et rend la lecture de ses romans jubilatoire !  

 

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