Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Actualités littéraires et culturelles

https://www.lemarathondesmots.com/

Toulouse du 25 au 30 juin 2024

 

Publié par Ecriberté

Collection Poche/Babel Actes Sud - 2020

Edition Stock  Collection Ma nuit au musée - 2018

Prix de la revue des deux mondes 2019

Kamel Daoud arrive à Paris un soir d'octobre 2017 pour vivre une nuit bien particulière. Il a accepté de passer une nuit au musée Picasso. C'est le challenge que propose Alina Gurdiel la fondatrice de  la collection Ma nuit au musée aux édition stock. L'exposition à l'affiche était "Picasso 1932 année érotique"

Kamel Daoud va écrire, de cette nuit passée au musée Picasso, un livre inattendu. Cette expérience est racontée sous la forme d'un essai-fiction.  

En effet, très inattendu parce que Kamel Daoud ne se positionne pas comme "le grand Ecrivain", reconnu par la France et le monde entier, mais comme un arabe venant à Paris pour entrer dans un lieu où l'image est sublimée. Très judicieux ! 

Au tout début du livre, une remarque de Kamel Daoud, un rien impertinente donne le ton, annonce le tempo du livre. "C'est la nuit que j'ai choisie pour ma nuit au musée de Picasso. J'y arrive avec un sac à dos, un taxi et dix minutes d'avance. C'est toute la terreur du déambulant "arabe" en Occident : que faire du temps en plus ? Marche sans but n'est plus facile à l'époque des attentas. Déambuler c'est presque tuer, sinon menacer ou intriguer. Faire semblant et un jeu difficile pour l'étranger. " [Extrait p. 9]

Ce sera donc la confrontation entre deux univers, l'Orient et l'Occident sous le regard insolent de Pablo Picasso et son "1932, année érotique". 

Une fiction facile et attendue ? Pas du tout ! Kamel Daoud la refuse et s'en défend. Pourtant la tâche ne va pas être aisée mais il s'en explique : 

"Fiction facile mais qui poserait la grande question qui intrigue en Occident : pourquoi on en veut tellement à l'image de ma culture ? A la représentation ? L'art est-il le contraire d'Allah avec la femme ? L'Occident est-il coupable de ses arts ou de son histoire ? [Extrait p. 34]

Un arabe dans le musée Picasso ne pouvait être qu'un épisode de ce duel devenu terrible depuis deux décennies, un risque, une tension. [Extrait p. 34]

Kamel Daoud nous explique d'abord les petits détails pratiques qui vont permettre cette nuit passée au musée. Petits détails qui font rêver comme le lit de camp installé à coté de ce magistral escalier qui permet l'accès aux salles supérieures. 

"Il y a un lit de camp sur le côté de l'escalier central, un panier-repas et toute la nuit pour prier et écouter."[Extrait p. 12]

Au fil de ma lecture, j'imagine l'écrivain déambulant son carnet à la main dans ce bâtiment grandiose où repose en son cœur, les œuvres d'un génie de la peinture "occidentale".  

Kamel Daoud nous confie qu'il n'a pas eu accès à cette forme d'art en Algérie. Son rapport à la cuture a été essentiellement donné par les livres. C'est pour cela qu'il ne s'est pas préparé à cette rencontre. Pas de lecture, ni d'analyse de tableau via Internet, aucun travail de réflexion sur le peintre. 

Ainsi, ses premières impressions sont données tout d'abord par le thème de l'exposition "Picasso 1932, année érotique". "L'érotisme est une clef dans ma vision du monde et de ma culture. Les religions sont l'autodafé des corps et j'aime, dans ce mouvement obscur de la dévoration érotique, la preuve absolue que l'on peut se passer des cieux, des livres et des temples... [Extrait p. 12]

"Je regarde, en bon visiteur discipliné, le premier tableau de l'année ardente, 1932. Le Rêve. Une femme y a ce geste très vieux de protéger son ventre.[Extrait p. 12]

Au cœur du musée, Kamel Daoud mêlent promenades et réflexions et rentre en communion avec le peintre et son œuvre.

"Tout amour s'accompagne d'un récit, d'un journal. Picasso ne déroge pas à la règle de la confidence publique. C'est un art crié sur les toits." [Extrait p. 20]

Les religions et leur vision du monde viennent s'interposer entre l'écrivain et les peintures. 

"Le plus beau corps-à-corps amoureux est celui où n'arrivent à s'immiscer ni rites, ni dieux, ni loi, ni témoins ou assesseurs. C'est celui que peint Picasso, cette année peut-être, à mi-chemin entre la volupté et la cruauté.  [Extrait p. 41]

Cette nuit va donner à Kamel Daoud une envie de performance. Il se lance un défi en regardant la peinture "le rêve".

"Un pénis géant se pose sur la clavicule, pénétrant la femme de part en part. La jeune fille n'est plus qu'une jugulaire sous cette possession.

Oui c'est de l'anthropophagie érotique. J'ai une nuit pour le prouver?" [Extrait p. 26]

Un djihadiste dans le musée Picasso ? Kamel Daoud imagine cette éventualité. On peut la trouver inattendue, pertinente, insolite, mais surtout dans l'air du temps "sa position d'arabe" que l'écrivain met en avant dés le début du livre pour en faire son fil conducteur.  

Pour comprendre Picasso, il faut être un enfant du vers, pas du verset [Extrait p. 33]

A force, j'ai fini par y imaginer l'amorce d'un récit possible : un djihadiste venu de Syrie ou de Tombouctou ou d'Alger ou venu de la banlieue parisienne, chargé de blesser l'Occident au cœur de son cœur : ses collections d'art. Enfant de la destruction de Palmyre, cet égaré fou devait venir dans cet espace, s'y cacher dans l'un es sous-sol, près des toilettes froides, puis remonter la nuit, d'une manière ou d'une autre, pour taillader les tableaux, les détruire, effacer les traces de l'Occident, punir cette géographie qui fait peur quand elle a faim et qui rend jaloux quand elle est rassasiée. [Extrait p. 34]

Kamel Daoud interroge ainsi son propre rapport à l'image, la peur de la représentation. Ce livre sera consacré à cet antagonisme :" je suis Picasso" et "je suis Allah". 

Kamel Daoud nous offre une nuit dans le musée Picasso pleine d'enchantements. Une visite étoilée par les toiles d'un grand maître de la peinture et les réflexions finement élaborées et pertinentes d'un tout aussi brillant maître des mots. 

Portait de Dora Maar : musée Picasso

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article